Quelque part au centre de l’un des six bulbes de marbres couvrant ce qui aurait pu être la proue du vaisseau, dans une pièce en forme d’étoile étirant ses six branches dans les trois dimensions flottait le corps d’une jeune femme. Trois champs de normalisation l’entouraient, trois bulles en mouvance perpétuelle fondues les unes aux autres. Perçant ce halo cotonneux de fines brindilles métalliques trois robots aux silhouettes arachnoïdes semblaient caresser la chair de la dormeuse sans oser la toucher.
Ce lieu représentait en la personne de la pilote navigante Katria l’âme, la partie humaine de l’organisme-vaisseau Pan’fa.
Katria était née dans cette pièce, y avait grandi et y mourrait certainement. Elle s’était désincarnée dès son plus jeune âge pour prendre possession de son nouveau corps, le Pan’fa premier de sa génération. D’abord vaisseau nourrisson, composé des quelques éléments essentiels à sa vie, la matrice où reposait son enveloppe charnelle, un propulseur Stocko à carburant organique et le central des six servants, Katria grandit au rythme de la construction du Pan’fa, sa réalité physique. Ses parents humains, éducateurs du grand univers, architectes des Réacta, du profond et du Triche, ses frères vaisseaux Nef et tous les servants de la toile lui avaient enseigné l’espace. Elle entreprit des voyages d’initiation toujours plus long, gagna des recoins du Xyz toujours plus éloignés, parcourut des routes du Triche depuis longtemps inexploitées. À son treizième anniversaire on lui apprit quel serait son rôle : traceur de méridien. Comme le voulait la tradition des Nefs elle put alors entreprendre son voyage de Recueillement de cinq ans, libérée de toutes contraintes. Elle pouvait aller là où il lui plairait d’aller, faire ce qu’il lui semblait bon de faire, partir et ne jamais revenir. Mais les Nefs revenaient toujours.
Échappant momentanément au contrôle des servants, le Pan’fa se mit à osciller doucement sur un axe imaginaire. Ses cadenseurs émirent un ronronnement qui se répercuta longtemps, subsistant de poches d’air en salles immergées, de cloisons pleines en barrières énergétiques. Des milliers de cyclyeux répartis sur la coque s’ouvrirent, se refermèrent puis s’ouvrirent de nouveau. L’image fuyante d’une petite fille entre éveil et sommeil apparut fugitivement sur tous les moniteurs du bord. Puis, dans un seul mouvement tous les éléments de cette “planète mécanisme” s’animèrent. Sas, poutres de manutention, servomoteurs, contacteurs, palpeurs, cyrus, logimecs frémirent, frissonnèrent puis replongèrent dans une paisible léthargie. Katria avait toujours eu des réveils difficiles.
Le bulbe principal de la salle du duplicata s’illumina progressivement d’une lueur pourpre puis se mit à pulser régulièrement au rythme de l’organisme de Katria. C’était en ce lieu, dans un globe d’eau Psy qu’une copie de la conscience du pilote s’éveilla. Intelligence, âme et complexe C séparés par le sommeil s’unifièrent pour former de nouveau un être doué de vie, une entité différenciée. Plus faiblement sept autres globes se mirent à palpiter de manière asynchrone. Sept berceaux aptes à recevoir l’esprit de Katria dans le cas d’une défaillance d’un des duplicatas.
Au centre de la masse informe du Pan’fa, dans un puits de mille cinq cents kilomètres de diamètre ouvert aux deux extrémités une étincelle à l’échelle d’une planète crépita et rebondit sur la paroi, accéléra, rebondit encore, elle voulut s’échapper par une des entrées du réacteur mais un champ de force l’en empêcha. Le ballet se poursuivit quelques secondes, la lueur grossissant à chaque rebond sur la coque nourricière. Puis l’étincelle devint un microsoleil. Des amarres énergétiques partirent à l’assaut de la source d’énergie pure, la stabilisèrent au centre du vaisseau et commencèrent à en puiser la précieuse puissance. Partout sur la coque du grand vaisseau des opercules pareils à d’immenses dômes de quelques télescopes antiques s’escamotèrent. Le Pan’fa, telle un corps céleste soudain redevenu sage réintégra son orbite, se stabilisa en une ellipse parfaite et vint trouva sa trajectoire en équilibre avec l’espace local.