L’invité étranger de nos coutumes est souvent surpris par le dénuement physique de nos citoyens Bio. Rares sont les résidents, les citoyens et les colons améliorés par des biais technologiques. Nous sommes tel que notre ADN nous définit. Notre sonde Farmer maintient notre condition physique toujours à son maximum mais en dehors de cela nous avons rarement recours aux prothèses cybernétiques, aux protections énergétiques, aux renforcements génétiques, aux implants PSY, … Tout du moins pas en permanence. Nous préférons endosser des combinaisons d’assistance lorsque le besoin s’en fait vraiment sentir. Le reste du temps nous nous en remettons à notre fragile condition biologique.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Et c’est très certainement parce que nous avons été une des civilisations les plus améliorées qui soit que nous préférons aujourd’hui la simplicité de nos corps naturels.
La mise au vestiaire de notre barda technologique a précédé l’avènement des Traceurs. Le Messie Solune en est le principal investigateur.
Auparavant nous ne reculions devant aucune solution qui pouvait nous permettre de transcender notre condition biologique. Jusqu’à transplanter Intelligence et Complexe C dans des Homecs, des corps artificiels rivalisant de performances avec les Intelligences les plus évoluées. Car derrière tout cela, il y avait bien un sentiment de rivalité qui nous poussait à tenter de supplanter les performances des enveloppes physiques de nos congénères Métal.
Mais plus que les Homecs, un homme et une technologie changèrent à jamais la nature profonde de notre société. Cet homme c’est l’Arkotech Apula U d’alias Bonne Continuation. Architecte Titan de la pensée pan Tek Tekno, Apula est le père de la Mécanique de Résistance. Le principe fondamental de cette technologie est la captation de l’énergie provoquée à des fins de renforcement d’une structure matérielle ou énergétique donnée. L’application première de ce principe donna naissance aux boucliers à charges répulsives. C’est une bonne illustration du fonctionnement de base de la Mécanique de Résistance. Il s’agit de capter et canaliser une force contre laquelle on s’oppose. Puis on retourne celle-ci contre elle-même. Plus la force est grande, plus on peut lui opposer une résistance importante jusqu’à atteindre un équilibre. Le recueil d’une force vers le dispositif de Mécanique de Résistance se fait au travers de veines de transit, des canaux de taille infinitésimale distribués autour de tout solide existant au sein de l’espace normé.
Très rapidement les boucliers à charges répulsives évoluèrent en armure réflexive. Les BACR avaient en effet un défaut majeur. Sous les assauts répétés de salves lasers ils pouvaient devenir instables jusqu’à se détruire en provoquant une importante explosion. Ils furent donc doublés de nano drones d’interception, d’un maillage énergétique d’absorption d’ondes, de chapelets de leurres de fleurs noires et de toute une panoplie d’autres systèmes de défenses passifs et actifs.
Ils se modernisèrent encore en se dotant d’IA Teltek et leur aspect passa de l’armure à la parure pour enfin devenir invisible évoluant en une seconde peau transparente.
C’est principalement par ce biais que le citoyen impérial devint un être amélioré. Ces dispositifs de protection étaient généralement regroupés sous l’appellation d’Accent. Vous portiez un Accent, vous étiez accentué.
La généralisation des plots vertébraux et leur synchronisation avec les Accents finirent de faire évoluer les Bio vers une nouvelle humanité. Bien des choses changèrent et changèrent certainement trop vite. À commencer par la longévité des citoyens qui, si elle avait déjà très largement allongée avec les Sondes Farmer, devint potentiellement infinie. L’Accent isolait totalement son porteur de l’espace Normal, le translatant presque dans un univers cocon à l’abri de toute menace. Perpétuellement regénéré de l’intérieur comme de l’extérieur nous pouvions décider à tout moment de l’âge de notre corps. Bien entendu, et vous me voyez venir, notre complexe C lui n’est et n’a jamais été soumis à la volonté du vivant et les premières désincarnations ne tardèrent pas à apparaître. L’ère des morts vivants catatoniques advint alors qu’une fois de plus nous sombrions dans l’abîme, victime comme toujours de notre plus grand ennemi, le bien malveillant nous-mêmes.
Et ce ne fut pas le seul de nos soucis.
Il advint que de nombreuses IA d’Accents prirent des décisions catastrophiques pour protéger leur Accentué. Dotées d’une puissance de destruction terrible elles n’hésitèrent pas à tuer et détruire.
Jusqu’au jour où il advint que les Accentués s’affrontèrent entre eux et ce furent des mondes entiers qui disparurent. Une fois de plus, ce furent les Intelligences et notamment celles des Sondes Farmer qui volèrent à notre secours. Elles appliquèrent la loi du Talion mais à leur manière. Tout Accentué voulant porter atteinte à un Bio, une Intelligence ou même un environnement subissait en retour le mal qu’elle souhaitait faire subir à sa victime. D’un cycle au suivant il devint impossible de nuire physiquement à son prochain… Ou même de s’en défendre.
Enfermés dans nos Accents, nous n’étions plus maîtres de nous-mêmes. Fidèles à leur conviction, les Intelligences Farmer nous remirent les clefs de ce verrouillage. Nous pouvions choisir la voie de l’Accentuation et de la suprématie ou celle de la liberté et de l’incertitude.
Avec l’aide du Solune ressuscité nous avons choisi la liberté.
Les Accents n’ont pas disparu et nous les utilisons notamment pour nous aventurer dans les environnements hostiles à notre fragile condition de Bio. Mais sinon, nous vivons pour ainsi dire nus, dotés de nos seuls sens, de notre seul corps physique, charnel mais réel. Nous pouvons être un élément du Grand Univers, nous ne nous soustrayons plus à la rugosité du monde. Mais par là même nous pouvons accéder à un niveau supérieur de compréhension : le mouvement perpétuel de notre plan d’existence vers un équilibre de ses forces primordiales et naturelles. La vérité est dans l’animalité. L’accepter pour une société telle que la nôtre fut difficile. Nous faillîmes nous y perdre. Mais nous avons compris… Peut-être.