Il existe un grand nombre de villes sur un Traceur. Mais ce ne sont pas vraiment des lieux d’habitation. Les Attachés sont de nature indépendante, tout comme leurs homologues impériaux. Les villes sont donc plutôt des lieux de rassemblement, d’activités sociales, politiques et économiques. Elles peuvent accueillir un grand nombre de citoyens de passage et il n’est pas rare qu’un Attaché ou un Colon séjourne durant plusieurs cycles longs dans les innombrables Comozis des villes Traçantes.
Une ville que je n’apprécie guère mais à qui on ne peut nier une réelle originalité est Bascale. Elle est située au niveau de la troisième vrille et donne sur l’extérieur. C’est un plateau circulaire protégé par un dôme d’amétrine. De grandes avenues partent du centre et rayonnent vers l’extérieur. Des ruelles sinuent entre des maisons qui se pressent les unes aux autres. Ces habitations ne font guère plus d’un étage ou deux et adoptent une architecture moyenâgeuse. Malgré l’homogénéité de l’ensemble on distingue aisément six secteurs, principalement en raison des différentes couleurs qu’adoptent les façades. Ainsi identifiés les quartiers forment autant de parts dans ce qui s’apparente à une espèce de tarte urbanistique. Chacun de ces quartiers est associé à une Pensée. La ville est posée en son centre sur une pointe et penche donc du côté de la zone la plus peuplée. Les habitations peuvent pivoter pour rester à l’horizontale, mais les rues sont le plus souvent bel et bien en pente. Ainsi, la ville encourage les Pensées à organiser des événements, des fêtes, des conférences, des tournois sportifs et tout ce qui peut attirer du monde afin que la balance penche en faveur de leur secteur.
Si l’instabilité liée à ce concept ne me sied guère, force est d’avouer que Bascale est un lieu fantastique où les Pensées se rencontrent, s’accrochent, s’affrontent souvent, mais surtout s’écoutent et parfois s’entendent.
Ville suivante : Nou Gork. Une réplique de la ville de l’ancienne terre. Pourquoi. Pour manipuler le mythe. La Terre, le Berceau, la Première Colonie, Tierra Ancienta, Lalogui, le Monde Ancestral, Civ 1, Gagnaku, Parthénos, l’Orgueilleuse, en ainsi de suite. Notre monde natal a plus de noms qu’il y a de notes dans une partition des Poissons d’Arrêts. Et il n’y a pas un Traceur qui n’ait sa réplique. L’Abram n’échappe pas à la règle. La nôtre, Nou Gork donc, est l’œuvre du Teka Olpra De Gumus, d’alias Fin Rictus, un croyant de la sphère des Invétérés de l’Orphane, une congrégation ultra-orthodoxe des Zanzis de la Non Pensée. Leur culte : le respect des trois cœurs : le cœur de la faim, le cœur de la sécurité et le cœur de la pérennité. Cet architecte de l’école des Atfoton a souhaité offrir à notre naviguant, avec cette adaptation d’une ville pourtant peu encline à la tendresse, un cocon d’amour, de générosité et d’hospitalité. Comment faire de la verticalité de la grosse pomme un lieu accueillant ? En faisant simple. En basculant la ville de 90°. Et New York devient Nou Gork, la cité balcon. Plus verticale encore que sa sœur aînée, Nou Gork pointe ses immeubles à l’horizontale. Les gratte-ciels sont devenus les nids de pie de l’Abram Onéguïne. Nulle part ailleurs sur le Traceur il y a de plus beaux points d’observation des paysages qui nous sont donnés de voir chaque déter alors que nous traversons systèmes et amas du Supérieur, que nous frôlons les novas, les quasars, les pulsars, les constellations, les trous noirs, les follets et les cathédrales. Nou Gork est la cité de l’ultime contemplation.
Et une petite dernière, car toujours à trois cela va, l’Azbrinos, la fortification de conservation de la Légende. Entrez par la grande porte, traversez les trois murailles, enjambez le Dadou par le dernier pont-levis et venez visiter le grand jardin. Ici, nulle habitation, seulement ce grand parc ou se déroule en une longue spirale la tapisserie de l’AO, la tapisserie qui écrit en temps réel l’histoire de l’Abram Onéguïne. Venez parcourir, en partant du centre et en circonvoluant le long de la fresque la belle, la grande, la parfois angoissante, la toujours surprenante histoire de notre grand Traceur. Aux quatre coins de u32, les historiens d’Azbrinos écrivent ce récit qui est aussitôt retranscrit, après avoir transité par la Toile, sur la tapisserie qui ne cesse de grandir encore et encore. Vous pourriez passer une vie à l’admirer, la lire, la décrypter et la comprendre.
Encore une ? La cité de l’évasion instantanée. Un petit coup de déprime. Hop, direction Lalouga. Franchir ses hauts portails arrondis et colorés, c’est l’assurance de reprendre goût à la vie, foie en l’Empire, confiance en l’humanité, aux Bio, aux Intelligence !
Dans un premier temps, vous parcourrez des ruelles étroites et désertes. Une musique répétitive et lancinante se fait entendre au loin. L’ambiance est plutôt angoissante. Vous vous enfoncez toujours plus profondément dans cette ville plus grande qu’elle n’en a l’air. Et vous commencez à croiser des spectres, des individus comme vous semblent errer sans but. Vous ne pouvez pas interagir avec eux. Ils sont vaporeux, inconsistants. Tous vous vous dirigez vers le centre de la ville. Un, deux, dix, des milliers maintenant.
C’est un cheminement, vous l’avez compris. Un glissement plus tôt.
L’architecture évolue progressivement, très lentement. Imperceptiblement.
Mais plus important est le voyage intérieur.
Peu à peu, voyage intérieur et seconde voix se mêlent. La seconde voix répond à un désir. Elle s’adapte et crée une histoire, une brève histoire, un court instant de vie intimiste adaptée à la sensibilité du héros qui la visite, la déroule. Lorsque vous atteignez le centre de la ville, qui ressemble maintenant étrangement à un petit bourg, vous êtes arrivé ailleurs. Un ailleurs différent pour chacun. Un ailleurs réconfortant pour tous. Un lieu de plénitude ou d’action, de repos ou d’énergie, de calme ou de fureur, c’est selon. Un lieu, une scène, un récit inspiré de votre complexe C, de ses fibres d’âme.
Entrez dans Lalouga c’est passé les portes d’un autre monde, un monde pseudo Solunien, non pas fait à votre image mais fait pour votre C. Un univers où les circonvolutions de votre Complexe pourront tracer l’enlacement idéal, où votre être, votre esprit, votre vie seront non pas sublimés mais s’intégreront idéalement dans l’histoire du normal comme prendrait naturellement place la pièce d’un puzzle dans l’ensemble du plan de votre existence.
Mais attention, nous ne sommes pas ici dans une seconde voix asynchrone. Tout temps passé dans la cité de l’évasion équivaut au temps zéro. Et l’on ne peut y rester indéfiniment sans respecter un protocole strict. Vous pourrez déjà essayer votre évasion, votre utopie durant trois cycles. Et si vous décidez d’y rester pour y vivre plusieurs laps (trois minimums), vous devrez alors organiser une réception, une fête pour vos proches afin de leur faire vos adieux. Le centre de la cité est fait pour cela. On y trouve une large place encombrée de nombreux chapiteaux sous lesquels se succèdent les festivités sans discontinuer. Une fois fait vos aurevoirs, vous descendrez par l’un des escaliers en colimaçon vers une des cellules souterraines où une main pourra vous accueillir pour votre nouvelle vie. Et là où tout ce barnum devient vraiment intéressant, c’est que la seule constante des univers créés par la cité de l’évasion et qu’ils contiennent tous quelque part une autre cité de l’évasion dans laquelle vous pourrez, si l’envie vous en prend, pénétrer pour vivre une variante de votre vie rêvée.
Cela donne le vertige, non ? Pour ma part, heureusement, agaçant comme l’est mon plus proche voisin, je sais ne pas être dans la perfection d’un monde d’une cité de l’évasion. Si ce n’est que l’opportun est peut-être un élément clé de l’équilibre de mon histoire idéale …